Votre cerveau vous joue des tours et met en place, souvent à votre insu, des filtres et des ruses (parfois bien utiles) qui faussent votre jugement et vos appréciations. Ce sont les biais cognitifs.
Vous pensez, à juste titre probablement, être un manager assertif, qui maîtrise ses émotions aussi bien que l’art du feedback, et qui conduit ses entretiens d’évaluation (ou de recrutement) de façon objective. Vous pensez, toujours à juste titre, que votre comportement et vos décisions reposent, la plupart du temps, sur un processus de raisonnement logique et sans faille. Mais en réalité, votre raisonnement, votre perception, votre comportement, votre jugement, chacune de vos décisions et votre mémoire sont influencés par ces biais cognitifs.
Alors, concrètement, quels sont-ils ? Dans quelles circonstances se manifestent-ils ? Pourquoi la reconnaissance et la maîtrise des biais cognitifs sont-elles si importantes en entreprise ?
A travers cet article, je vous propose de réfléchir à ces raccourcis de la pensée qui pullulent dans notre quotidien personnel et professionnel, sans que nous en ayons conscience. Je répondrai également à trois questions que me posent mes clients sur les biais cognitifs.
Définition des biais cognitifs
Selon Wikipédia, un biais cognitif est une « déviation dans le traitement cognitif d’une information. Le terme biais fait référence à un détournement, une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité. Il représente une erreur de jugement ou une interprétation erronée de la réalité, influencée par un aspect social, culturel, environnemental, … Les biais cognitifs conduisent un individu à accorder des importances différentes à des faits de même nature. Ils peuvent être repérés lorsque des paradoxes ou des erreurs apparaissent dans un raisonnement ou un jugement ».
Quant à « Cognition », il vient du latin « cognitio », qui dans la philosophie scolastique, est la « faculté de connaître ». La cognition est donc un ensemble de structures et d’activités psychologiques dont la fonction est la connaissance, par opposition aux domaines de l’affectivité.
Le terme de biais cognitif a été introduit au début des années 1970 par les psychologues Daniel Kahneman (Prix Nobel d’économie en 2002) et Amos Tversky pour expliquer certaines tendances vers des décisions irrationnelles dans le domaine économique. Les biais cognitifs font l’objet de nombreux travaux en psychologie cognitive, en psychologie sociale et plus généralement dans les sciences cognitives.
Un synonyme de biais cognitif serait une ruse, un détour, un subterfuge ou encore une manigance de notre cerveau.
Le codex des biais cognitifs
Les biais cognitifs peuvent être scindés en quatre catégories :
Les biais cognitifs liés à trop d’informations
Les réseaux sociaux, les chaînes TV qui tournent H24, les sites Internet, les avis Google, les blogs, … nous abreuvent d’un contenu vertigineux qu’il nous faut trier. Et il va sans dire que nous sélectionnons (bien involontairement) les bribes d’information qui nous plaisent, renforcent nos convictions et que nous jugeons utiles, pour juger, commenter et décider. Notre cerveau va donc enregistrer plus facilement ce qu’il vient de voir :
- En se focalisant sur ce qui sort du lot,
- En remarquant plus facilement quelque chose qui aura changé,
- En privilégiant les faits qui confirment ses croyances,
- En ignorant les faits qui contredisent ses apriori.
Les biais cognitifs liés à un manque de sens
La nature a horreur du vide… Une fois le monceau d’informations trié et réduit à ce qui corrobore notre vision du monde, nous n’avons pas d’autre choix, pour combler les trous laissés par les informations qui nous déplaisaient, de relier entre elles, celles qui restent, avec ce que nous pensons savoir et ce qui nous arrange de voir. C’est ainsi que nous mettons à jour nos modèles mentaux, en fonction de la réalité que nous souhaitons.
Il nous manque donc une bonne partie de l’histoire… Que nous allons tenter de la reconstruire avec des données partielles (et tronquées). Nous avons alors recours à des histoires, des stéréotypes et des généralités en les simplifiant le plus possible. On projette ce qu’il se passe dans le moment présent, dans le passé et le futur, et sommes dans l’incapacité à évaluer à quel rythme (vitesse ou lenteur) les choses changent, et quand nous devrons nous adapter.
Les biais cognitifs qui découlent de la nécessité d’agir rapidement
Même si on a tendance à privilégier le court terme au détriment du long terme, s’adapter rapidement dans un environnement incertain et mouvant, est indispensable pour tout être humain et toute organisation. La confiance en soi est ici un facteur clé pour avancer, mais nous préférerons toujours une situation connue et de statuquo (homéostasie) à un changement en profondeur que nous ne connaissons pas. L’individu se tournera alors vers des actions faciles à mettre en œuvre, qui demanderont peu d’énergie, mais qui ne seront pas toujours adaptées aux situations rencontrées.
Les biais cognitifs qui découlent des limites de la mémoire
Notre cerveau nous joue également des tours dans la mémorisation de nos souvenirs. Il va en oublier certains, en fabriquer d’autres, ne prendre que quelques morceaux de la réalité et construire une nouvelle histoire. Ces souvenirs sont alors stockés et modifiés au gré des événements que nous allons rencontrer.

Modèle Algorithmique : John Manoogian III (jm3) –
Modèle Organisationnel : Buster Benson
Les biais cognitifs, de façon assez sournoise et sans que nous en ayons conscience
- Influencent nos jugements, nos prises de décisions, notre façon de communiquer et d’interagir avec les autres,
- Entretiennent nos croyances,
- Faussent la réalité qu’ils nous font percevoir à travers des filtres, des voiles pour la faire ressembler à ce que nous voudrions qu’elle soit, et non pas à ce qu’elle est de façon objective.
Les décisions que nous prenons sont alors biaisées et au final, nous desservent. Elles reposent en effet sur une altération de notre jugement et uniquement sur une vision incomplète et incorrecte de la vision d’une situation ou de la compréhension d’un problème. Ces décisions, ces jugements ne sont ni guidés par une réflexion profonde ni par une analyse objective.
En synthèse, l’explication des biais cognitifs pourrait être résumée ainsi :
A l’origine, et dans un environnement très simple, les biais cognitifs permettaient au cerveau d’économiser du temps et de l’énergie. Mais dans un environnement complexe et incertain, cette « flegme » ne peut fonctionner et nous joue des tours. Les raisonnements avec leurs raccourcis simplistes et leur processus de pensée rapide « un peu à l’emporte-pièce », qui fait intervenir des facteurs émotionnels et instinctifs, ne peuvent que nous faire prendre des décisions irrationnelles ou nous amener à avoir des comportements dénués de bon sens.
Nous sommes alors confrontés à une dangereuse inférence arbitraire :
Elle consiste à tirer des conclusions hâtives et négatives sans preuves. C’est le « tout ou rien » en psychologie, le « noir ou blanc », la sur-généralisation, la personnalisation, la dramatisation (ou la minimisation). On parlera alors de dichotomie psychologique.
Les biais cognitifs sont à distinguer des distorsions cognitives :
La distorsion cognitive est « une pensée menant l’individu à percevoir la réalité de manière inexacte ».Ce mode de pensées déformé et trompeur peut contribuer à une vision globale négative du monde et conduire à un état mental dépressif ou anxieux ainsi qu’à des troubles de la personnalité. A venir : article sur la distorsion cognitive !
Liste des biais cognitifs
Il existe plus de 250 biais cognitifs ! Je ne vais pas tous les recenser ici, mais en revanche leur consacrer des articles dédiés. Si vous voulez aller plus loin dans leur compréhension et leur mécanisme, il existe des livres, des cours et de nombreuses vidéos de qualité. La chaine de TV Arte a par ailleurs réalisé un excellent documentaire sur le sujet. A vous de choisir le support qui vous convient le mieux et qui répondra à votre besoin.
Pour mieux comprendre comment notre cerveau procède, j’ai regroupé ces biais cognitifs en cinq catégories, même s’il est parfois difficile de les imputer à un groupe, tant ils sont intrinsèquement liés les uns aux autres. Mais gardons quand même en mémoire que notre cerveau n’en fait qu’à sa tête !
Les biais de jugement
Les biais de jugement font référence à la capacité d’un individu à évaluer, estimer, juger la valeur d’une personne ou d’une chose à partir de ce qu’il aura compris, vu, entendu ou supposé… C’est ainsi que l’on peut facilement se méprendre sur un individu dont les goûts ressemblent aux nôtres et accorder moins de crédit à celui avec qui nous avons peu de points en commun. Ce biais perceptuel nous amène à interpréter des événements en fonction de nos centres d’intérêt, de notre expérience ou encore de de nos valeurs.
Les biais de raisonnement
Les biais de raisonnement sont des biais cognitifs qui amènent l’individu à oublier toute rationalité et ne pas exercer son sens critique. Il privilégiera des hypothèses ou des événements qui confirment ses conceptions.
Les biais décisionnels
Reliés à la peur du risque, de l’échec, du rejet, ils sont une distorsion de l’information au moment de prendre une décision. On trouve cette situation auprès de managers, qui ont tendance à ne pas répondre à des sollicitations, ou à faire traîner des demandes de validation. A venir : article sur les biais de décision !
Les biais comportementaux
Omniprésents, les biais comportementaux amènent l’individu à prendre une décision en fonction de ses émotions, de son intuition ou de son humeur. A venir : article sur les biais de comportement !
Les biais de mémoire
On les appelle également biais de rappel, biais mémoriels ou biais mnésiques. Ils sont liés aux biais de perception qui manquent de fiabilité et aux émotions que l’on ressent au moment de l’événement et lorsqu’on accède à son souvenir.
Il arrive également fréquemment que tous ces biais rentrent en collision les uns avec les autres et soient en contradiction avec ce que pense ou ressent l’individu. Cela provoque une impression de tension interne fort désagréable. C’est ce qu’on appelle la dissonance cognitive.
Les biais cognitifs en entreprise
Les biais cognitifs se jouent de nous, sans même que nous en ayons conscience. C’est le cas par exemple dans la publicité cognitive avec le biais de Jonzac (probabilité de développer un sentiment positif envers quelqu’un par la simple exposition répétée de cette personne) et dans le marketing où ils sont sur-utilisés (Effet Barnum, biais Von Restorff, biais de cadrage, biais d’ancrage, biais de vérité illusoire, …).
Nous ne développerons pas ici les biais utilisés dans la publicité et le marketing cognitif ici, mais je propose en revanche de nous pencher sur les biais qui se cachent dans nos parcours de recrutement…
Focus sur le biais cognitif de recrutement
- « Comme moi, il chante dans une chorale »,
- « On pratique le même sport »,
- « On a des enfants du même âge »,
- « Je n’ai pas eu un bon fit avec cette candidate »,
- « Je n’aime pas sa voix, son parfum, son look », …
- …
Ces modes de pensées trompeurs et faussement logiques nous amènent à perdre de vue la subjectivité requise dans les étapes de recrutement. Les biais de recrutement condensent en effet l’ensemble des biais cognitifs :
- Effet de simple exposition : C’est la tendance à porter plus d’attention envers un candidat déjà rencontré qu’envers un inconnu,
- Effet de halo : C’est la capacité à généraliser des compétences ou des capacités à partir d’une observation unique. Le jugement sur l’apparence en est l’exemple le plus probant,
- Effet de Dunning-Kruger (ou effet de sur-confiance) : Il montre combien les individus non compétents sur un sujet, surestiment leurs compétences,
- Effet de désirabilité sociale : C’est la tendance à surenchérir certains traits de son caractère, ses compétences, ses actions, (« J’adoooooore travailler en équipe », …),
- Effet de favoritisme intragroupe : C’est a tendance à recruter un candidat qui nous ressemble (partage de valeurs, même école, parcours similaire, …)
- Effet de récence : C’est la tendance à accorder plus d’attention envers un candidat dont on aura vu le CV récemment,
- Biais d’ancrage : La première information est tenace et influence l’impression générale (par exemple, un candidat en retard ne sera pas sérieux, un candidat qui ne regarde pas dans les yeux est fourbe, …),
- Biais de cadrage : C’est la tendance à orienter ses questions pour conforter ses attentes,
- Biais de l’entomologiste : C’est la tendance à baser l’entretien exclusivement sur des faits concrets et des éléments pragmatiques, et ne pas laisser de place aux soft skills, qui sont de plus en plus recherchées en entreprise, ni aux émotions,
- Biais de naïveté : C’est l’écueil du débutant, qui se laisse envahir par l’émotion, et qui prend pour « argent comptant », les propos du candidat,
- Biais d’extraordinarité : C’est la tendance à donner plus de valeur à un candidat car il possède une compétence exceptionnelle
- Le biais d’illusion positive : Nous sommes convaincus que nous sommes les meilleurs, les plus beaux et les plus forts,
- …
Comment sortir des biais cognitifs de recrutement ?
Les biais de perception génèrent des comportements et des pensées qui altèrent notre jugement et influencent notre décision dans le recrutement. Ils peuvent nous conduire à prendre des décisions injustes, discriminantes et inadaptées, et donc accueillir un individu qui ne s’intègrera pas dans l’entreprise. Ou à contrario, passer à côté d’un bon candidat, arrivé par exemple avec un peu de retard…
Le recrutement commence dès la rédaction de l’offre d’emploi. Elle n’est pas la chasse gardée des RH, mais doit faire intervenir le manager concerné. On peut aussi se demander si l’implication des collaborateurs de l’équipe et d’autres directions ne pourrait pas être questionnée. Il est important, dès le départ, d’être vigilant sur les temps employés, et de diffuser l’offre sur un maximum de supports pour toucher (et brasser) le plus grand nombre de candidats.
Lors des entretiens, pour ne pas lui laisser sa mémoire lui jouer des tours, le recruteur devra poser les mêmes questions à l’ensemble des candidats qu’il rencontrera. Cela pourra l’aider à rester neutre, surtout si le recrutement s’étale sur plusieurs semaines avec de nombreuses rencontres. Prêtez encore plus d’attention aux « candidats du milieu » qu’au dernier ! La tendance à le préférer aux autres, car le souvenir est « plus frais », vous guette… Les référentiels, les CV anonymes et l’utilisation de certains outils technologiques peuvent aider dans la sélection et le tri des candidatures.
Conseil de Coach : structurez vos entretiens et notez vos remarques de façon identique et objective. Cela vous permettra de vous méfier de votre impression globale et vous aidera à prendre une décision aussi objective que possible
Agnès Menso, Coach professionnelle et Coach personnelle
Prendre conscience des biais cognitifs de recrutement est une première étape. Savoir les reconnaitre pour mieux les contrer, permet à l’entreprise de challenger sa pratique, de s’ouvrir à l’innovation et à la création de valeur par la différence et d’être à l’image de la société, dans une diversité multiculturelle et intergénérationnelle.
Comment lutter contre les biais cognitifs ?
J’ignore s’il est possible de lutter contre les biais cognitifs… Ce que je sais en revanche, c’est que vous avez la capacité de les repérer. Entre les biais de jugement, les biais comportementaux, les biais de raisonnement, les biais de mémoire, les biais décisionnels ou les biais de perception, il y en a sûrement quelques uns qui vous sont plus familiers que d’autres.
Pour moins laisser votre cerveau se jouer de vous et s’amuser à sa guise, voici quelques exercices sur les biais cognitifs :
- En pensant ou en agissant ainsi, quel est est le biais que vous êtes en train d’activer ?
- En pensant ou en agissant ainsi, qui cherchez-vous à protéger ?
- En pensant ou en agissant ainsi, que cherchez-vous à faire ?
- En pensant ou en agissant ainsi, que voulez-vous ?
Dans tous les cas, pensez au Cinquième Accord Toltèque pour garder et développer votre esprit critique, et validez vos sources d’informations pour amener votre cerveau à prendre un autre chemin d’analyse et de réflexion. Les Quatre Accords Toltèques peuvent vous aider dans cette expérimentation. Méfiez-vous également des tours que vous joue votre mémoire dans la construction de vos souvenirs.
Etre conscient de l’impact des biais psychologiques dans sa vie personnelle et professionnelle, demande du travail, de la rigueur et de la concentration. Cela exige de se poser, d’être en alerte permanente, de remettre en question ses schémas de pensée, de développer une écoute active réelle et de donner à son ego, la juste place qui lui est réservée…
Cette conscience est un pas qui permet d’éviter bien des tensions et des erreurs, et qui nous ouvre une marge supplémentaire vers la liberté de pensée et d’action.
Ceci étant, ce n’est pas moi qui vous dirais de ne pas écouter votre intuition, votre instinct, ni de ne pas être attentif aux messages de synchronicité que peut vous envoyer la Vie ! Une fois de plus, tout est question d’équilibre…
Vos questions / nos réponses sur les biais cognitifs
Quels sont les biais cognitifs ?
Il y les biais de raisonnement, de perception, de comportement, de décision et de mémoire. Ces biais viennent perturber votre pensée rationnelle en vous amenant par exemple à rester sur une impression globale ou en créant des souvenirs qui vous arrangent…
Comment identifier les biais cognitifs ?
On utilise bien souvent les mêmes biais, et on peut s’entraîner à repérer ses pensées pour avoir une activité mentale sur ses processus mentaux. C’est ce qu’on appelle la métacognition, c’est-à-dire l’action de « penser sur ses propres pensées ». L’exercice peut sembler difficile de prime abord, mais avec de l’entrainement, il permet de lever les pièges, les raisonnements fallacieux et développe l’esprit critique.
Quels sont les inconvénients des biais cognitifs ?
Le biais cognitif en psychologie vient altérer votre raisonnement, votre perception, votre comportement, vos décisions et votre mémoire. Ceci explique que vous pouvez vous retrouver dans une situation que vous ne souhaitiez pas, prendre une décision qui va à l’encontre de vos intérêts, ou encore avoir un souvenir tronqué d’un événement.

Comment reconnaître ses biais cognitifs ?